L'énergie nucléaire dans votre poche ? L'innovation des batteries ayant une autonomie de 50 ans

Kevin Hughes , Information Scientist, CAS

nuclear battery

Une startup chinoise, Betavolt, a récemment annoncé avoir développé une batterie nucléaire ayant une autonomie de 50 ans. Même si la technologie des batteries nucléaires est disponible depuis les années 1950, l'ampleur du mouvement actuel en faveur de l'électrification et de la décarbonation renforce le besoin de découvrir des sources d'énergie décarbonée et des méthodes fiables de stockage de l'énergie. Les innovations telles que celle de Betavolt relancent donc l'intérêt pour l'utilisation de l'énergie nucléaire dans les batteries.

Les batteries nucléaires, qui utilisent la désintégration naturelle des matières radioactives pour générer un courant électrique, sont utilisées dans le secteur de l'exploration spatiale ou des opérations à distance telles que les phares de l'Arctique, où le remplacement d'une batterie est difficile, voire impossible. Le rover Mars Science Laboratory, par exemple, utilise des systèmes d'alimentation par radio-isotopes (RPS), qui convertissent la chaleur produite par la désintégration radioactive en électricité via un générateur thermo-électrique. Toutefois, l'innovation de Betavolt porte sur une batterie bêta-voltaïque qui utilise les particules bêta plutôt que la chaleur comme source d'énergie.

Avant d'espérer retrouver ces batteries longue durée dans des appareils d'usage courant, il est important de comprendre certains compromis essentiels. La longue durée de vie des batteries bêta-voltaïques est compensée par leur puissance de sortie relativement faible par unité de masse : c'est ce que l'on appelle la densité de puissance. La densité de puissance des batteries bêta-voltaïques actuelles est si faible qu'elles ne permettraient pas d'alimenter un smartphone ou un ordinateur portable.

D'autres obstacles s'opposent à l'utilisation à grande échelle de ces types de batteries nucléaires et d'autres, en particulier la disponibilité des matériaux et la méfiance suscitée par l'utilisation de matières radioactives. Pourtant, la science physique et la science des matériaux qui ont produit cette technologie pourraient générer des progrès majeurs pour une énergie sans CO2 et fournir l'alimentation à certaines applications dans lesquelles les technologies actuelles de stockage de l'énergie sont insuffisantes.

Comment fonctionnent les batteries bêta-voltaïques ?

Les batteries bêta-voltaïques contiennent des émetteurs radioactifs et des absorbeurs semi-conducteurs. Lorsque la matière émettrice se désintègre naturellement, elle libère des particules bêta, ou des électrons à haute vitesse, lesquels viennent frapper le matériau absorbeur situé dans la batterie, séparant les électrons des noyaux des atomes dans l'absorbeur semi-conducteur. La séparation des paires électron-trou qui en résulte génère un courant électrique dans l'absorbeur : cela produit une puissance électrique qui peut être délivrée par la batterie.

Toutefois, ce processus n'est pas du même ordre que dans une grande centrale nucléaire. Les émetteurs et les absorbeurs sont de fines pellicules superposées dans les batteries qui, à l'instar de celle de Betavolt, sont de la taille d'une pièce de monnaie ou d'un bonbon. Cela est dû au fait que la majorité des particules bêta sont absorbées et que leur énergie est convertie en électricité à proximité de la surface de l'absorbeur.

Un processus similaire produit des courants électriques dans les panneaux solaires avec des cellules photovoltaïques. Dans ce cas, les photons émis par le soleil délogent les électrons, formant des paires électron-trou dans l'absorbeur, alors que les particules bêta générées par la désintégration radioactive naturelle sont à l'origine de ce processus dans une batterie bêta-voltaïque.

Les défis inhérents aux batteries nucléaires

Compte tenu des limites physiques du processus de désintégration et de la conversion des particules bêta en électricité, ces batteries produisent une puissance minime, de l'ordre de quelques microwatts. Comme on peut le voir sur la figure 1, les batteries bêta-voltaïques possèdent une densité de puissance très faible, mais offrent une densité énergétique extrêmement élevée, ou d'énergie totale contenue par la batterie par masse unitaire, par rapport à d'autres types de batterie.

La densité énergétique très élevée des batteries bêta-voltaïques est due à la lenteur de la désintégration des émetteurs radioactifs au fil du temps, ce qui permet à la réaction d'émettre des électrons pendant de nombreuses années. Leur durée de vie se mesure en demi-vie, qui correspond au temps qu'il leur faut pour atteindre la moitié de leur intensité initiale d'émission de particules bêta. Les émetteurs les plus couramment utilisés dans les batteries bêta-voltaïques ont une demi-vie de 2,5 à 100 ans.

Figure 1
Figure 1 : Diagramme de Ragone de certaines technologies de stockage de l'énergie. Graphique adapté basé sur un diagramme de Ragone (puissance spécifique versus énergie spécifique) des batteries électrochimiques, supercondensateurs, générateurs thermoélectriques à radio-isotopes (GTR), batteries bêta-voltaïques et autres, issu de la page
https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.jpcc.3c00684" data-entity-type="file" data-entity-uuid="7492bfc8-4dd1-4a0d-8a3d-b73f8c987e48" src="/sites/default/files/inline-images/INSGENENGSOC101903-Nuclear-Battery-Figure-1-Chart-2.png" />

Il faudrait d'énormes quantités de batteries bêta-voltaïques pour produire plusieurs watts ou kilowatts d'énergie. Le coût de fabrication de batteries de telles dimensions est prohibitif avec la technologie actuelle. Cela s'explique notamment par le fait que les émetteurs ne sont pas fabriqués avec des substances présentes dans la nature. Ces matériaux radioactifs doivent être synthétisés artificiellement et le coût de développement de grosses batteries pour des utilisations nécessitant beaucoup d'énergie les rend irréalisables.

Toutefois, les batteries bêta-voltaïques sont utilisées dans les pacemakers et d'autres petits appareils. Avec l'augmentation récente du nombre de dispositifs portables et de petits appareils ménagers, les applications potentielles sont plus nombreuses que jamais, grâce à l'association efficace des émetteurs et des absorbeurs.

Les émetteurs et les absorbeurs alimentent la technologie bêta-voltaïque

La disponibilité de sources d'énergie durables et décarbonées est essentielle et, même si les batteries bêta-voltaïques ne permettraient pas d'alimenter des bâtiments entiers, la compréhension de la relation entre les matériaux aptes à générer une énergie continue ouvre de nouvelles possibilités. En analysant CAS Collection de contenusTM, la plus importante collection mondiale d'informations scientifiques publiées organisée par des humains, nous pouvons identifier les matériaux prometteurs et les tendances de la recherche.

L'émetteur de particules bêta que l'on retrouve le plus fréquemment dans la littérature est le nickel-63, un isotope de l'élément nickel dont la demi-vie est d'environ 100 ans (voir la figure 2). Il est suivi de l'hydrogène-3 ou tritium, qui est souvent intégré au matériau à l'état solide titanium tritide. Le prométhium-147 apparaît également fréquemment dans notre analyse, mais il est moins cité et ne suscite pas le même élan d'intérêt que les autres matériaux émetteurs (figure 3).

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Figure 2 :  fréquence relative des matériaux émetteurs de particules bêta utilisés dans les publications de revues et les brevets liés aux batteries bêta-voltaïques dans CAS Collection de contenus. 
Figure 3
Figure 3 :  nombre de publications de revues et de brevets consacrées aux batteries bêta-voltaïques qui font référence à différents matériaux émetteurs de particules bêta au fil du temps

En ce qui concerne les absorbeurs, le matériau le plus cité est le silicium, qui est le plus fréquemment utilisé dans les dispositifs semi-conducteurs (voir la figure 4). L'utilisation du silicium dans les cellules solaires démontre également son utilité et son évolutivité dans ces types d'applications génératrices d'électricité.

Les autres matériaux fréquemment cités comprennent le carbure de silicium (SiC), le nitrure de gallium (GaN) et l'arséniure de gallium (GaAs). Ces matériaux présentent une large bande interdite, ce qui augmente l'efficacité de la conversion des particules bêta en électricité. Ils sont également très résistants à la dégradation liée au rayonnement des particules bêta (également appelée résistance aux radiations), qui renforce la durée de vie et la stabilité du dispositif. Ces deux propriétés sont essentielles pour les matériaux absorbeurs.

Il est à noter que l'on constate également que le diamant est un matériau absorbeur qui suscite de nombreuses recherches. Il s'agit dans ce cas d'un film de diamant synthétique et non de gemmes naturelles, mais il est également efficace en tant qu'absorbeur en raison de sa large bande interdite et de sa forte résistance aux radiations.

Figure 4
Figure 4 :  fréquence relative des matériaux absorbants émetteurs de particules bêta cités dans les publications de revues et les brevets au sujet des batteries bêta-voltaïques dans CAS Collection de contenus. 
Figure 5
Figure 5 :  nombre de publications de journaux et de brevets au sujet des batteries bêta-voltaïques qui font référence à différents matériaux émetteurs de particules bêta au fil du temps

Notre analyse démontre que la paire émetteur-absorbeur 63Ni-silicium est la plus fréquemment citée dans les recherches. Au-delà de ces matériaux, la fréquence des paires émetteur-absorbeur correspond globalement à la fréquence des matériaux émetteurs et absorbeurs individuels cités dans la littérature. Cela semble indiquer que les chercheurs testent actuellement de nombreuses combinaisons de matériaux (voir la figure 6).

Figure 6 : carte thermique des paires émetteur-absorbeur
Figure 6 : carte thermique des paires émetteur-absorbeur de particules bêta utilisées dans les publications au sujet des batteries bêta-voltaïques. Le nombre dans chaque cellule représente le nombre de publications de revues et de brevets utilisant cette combinaison.

 

Applications futures de la technologie des batteries nucléaires

S'il devient possible d'augmenter la densité énergétique des batteries bêta-voltaïques tout en gérant les problèmes liés à leur taille et à leur coût, ces batteries pourraient alimenter des appareils pendant de nombreuses années sans remplacement. Dans la mesure où la profondeur de pénétration des rayonnements bêta est relativement faible, les émetteurs sont plus sûrs que d'autres types de matériaux radioactifs et peuvent être blindés avec des matériaux simples qui les rendraient adaptés à une utilisation par le grand public.

Les chercheurs du Royaume-Uni ont même développé une batterie bêta-voltaïque en utilisant le carbone-14 radioactif issu des déchets nucléaires. Ils ont incorporé le carbone-14 au diamant pour optimiser son efficacité, par opposition à l'intégration de l'émetteur et de l'absorbeur dans des couches distinctes. S'ils étaient produits à grande échelle, ces dispositifs pourraient gérer les problèmes liés aux déchets radioactifs tout en fournissant une énergie durable et régulière.

Une autre innovation possible porterait sur l'utilisation de nanomatériaux, tels que les nanotubes de carbone ou les structures nanoporeuses pour augmenter la surface des absorbeurs. Cela leur permettrait de générer et de séparer efficacement davantage de paires électron-trou et, par conséquent, de produire un courant plus fort, sans augmentation rédhibitoire de la taille des batteries. L'augmentation de la surface par l'utilisation de nanomatériaux a été appliquée aux cellules solaires et aux batteries électrochimiques comme le lithium-ion.

Si les chercheurs parviennent à maîtriser cette capacité dans les batteries bêta-voltaïques, cela ouvrirait ce type de stockage de l'énergie à davantage encore d'applications et pourrait aboutir à des progrès dans les énergies renouvelables et le stockage de l'énergie pour soutenir la décarbonation. Pour en savoir plus sur les opportunités futures de l'énergie verte, lisez nos articles récents sur les tendances de recherche à la croissance la plus rapide, les avancées dans le recyclage des batteries lithium-ion et les éléments clés pour les économies à hydrogène vert.